Amorgos BAM BAM

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Arrivés sur Amorgos ; de la peinture qui coule sur les murs de la capitale, aux roches brunes qui s’enfoncent dans l’eau turquoise. Et, sur terre, des cafés où sont assis des vieillard sirotant leurs frappés. Il est cinq heures du mat ; mal dormi, la tête écrasée sur mon pull, dans le couloir du ferry, je cherchais Vincent, il dormait sous un escalier, bien emmitouflé dans son sac, entouré de dizaines de passagers perdus dans les limbes.

Amorgos, cinq heures du matin, le ciel est encore sombre, mais découvre déjà ses notes bleutées.

On loue un scoot ?
Hé… Tranquille, on vient d’arriver, check les gens qui sortent du bateau, des belles marées humaines.
Ca vomit des gens.
Yassos ! Dios Frappé, parakalo.
T’as une clope ?
Déjà ?
Efkharisto.

Les routes serpentent à travers les montagnes, un peu de vent, les jambes froides ; j’ai les deux sacs sur le dos, dont celui de Vincent, deux fois plus gros que le mien (- T’as un linge à me prêter ? – Putain ! Mais t’es chiant ! T’as rien pris avec toi bordel ?). La route serpente à travers les montagnes, et redescend sur la plage d’Aegiali, des bateaux amarrés dans la baie. Des chèvres sur la route, une brume stationnaire un peu louche ; on est au plus haut de l’île, deux-cent mètres ?

Yeah !
Comme c’est beau.
On dirait un peu les paysages de Tatouine, dans Star-Wars, non ?
Ta gueule.

Aegiali, quatre cafés, cinq bars, trois restaurants, un port, une plage, deux touristes, beaucoup d’amour.

‘Tends, j’appelle Karian… Il répond pas le con… il dort encore. On va checker la plage ?

Un bar, deux bar, trois bars, le bar. Il nous aura vu tous les soirs, tous les jours. Ça aura été notre premier hôtel. À même la plage, à même le sable, à même la pierre, sept heures du mat.

On se pose là un moment ?

Trois heures plus tard, je tourne la tête à gauche, relève un peu le t-shirt qui me fait de l’ombre, le bras gluant, parsemé de grains de sables, je sens que le soleil veut se faire remarquer, Vincent dort encore. Quelque chose bouge derrière nous, dix heures, le bar s’active. Déambule, en short, torse nu, le premier rasta du bar, tout sauf stressé.

Yassos !
Yassos !
Mia Frappé ?
Parakalo.

C’est quoi cette musique. Bonne musique. De la dub ? De la dub ! Yes. En plus de savoir vivre… Décidément.

Vincent se réveille, bonne humeur naturelle, il en a à revendre.

Ca va gros lard ? Déjà en train de t’injecter ton sucre ?
Haha, trou duc. T’as une gueule de merde. Bien dormi ?
C’est beau.

Y a des types couchés dans leur sac dans tous les coins du bar. Une terrasse assez grande, une dizaine de tables, sur la pierre, ombragée par des plantes rampant le long de structures métalliques, ouvert sur la plage, pas de délimitation précise ; le temps s’arrête, les gens se regardent, se jugent peu, s’intéressent. Le camping est juste derrière.

On va voir ?

Petit camping ombragé, lendemain de fête ; c’est onze heures, personne debout. Les tentes s’entassent, les hamacs pendent. Cinq francs la nuit ? On regarde plus tard.

On n’aura pas dormi là-bas, circonstances obligent. Pourtant… arrivés à Ios, comme on le regrettait. Comme on le regrettait. Une autre histoire.

Karian m’a dit qu’il arrivait bientôt.

J’ai la tête plongée dans mon bouquin, Vincent se dore la pilule au soleil. Toute façon il est plus bronzé que moi, je le rattraperai pas, autant préserver ma peau d’irlandais. J’ai oublié mon maillot de bain, je traine en caleçon, légère bedaine, reste des festivals, j’suis blanc comme un cul. Je jette un oeil sur la gauche. Le type le plus blond de la plage, écharpe nouée au cou – il fait trente degrés -, lunettes noires, un bouquin de neurosciences dans la main.

Hahahahhahahaha

Accolades. Yes mon bro ! On est les kings ! T’as vu cette plage de bosse ? Putain matte le cul là-bas ! Karian est dans la place.

Il n’y a plus d’heures, plus de montres. Des frappés, des Dakos, des gens heureux. Le sable, l’eau salée, la baie qui s’ouvre au loin sur le lent développement des paquebots, des montagnes enserrent le paysage, des villages à flancs de collines, architecture blanche, bleue, méditerranée. Les raquettes claquent, une balle de tennis, on s’envoie des balles, on joue comme des gamins. Tant et tant que le soleil commence à descendre, derrière nous. Bières ? Combien ?

Tout n’est qu’un flux continu de présent apaisé. Les filles, comment ? La vie ?

Ça va…
Ça va !

Ce soir c’est la nuit des étoiles filantes ; ouzo dans la main, couchés sur un mur de pierre, bonne musique dans les oreilles (pourquoi les types ont des aussi bonnes références en dub ?). Georgia, la serveuse, nous questionne sur nos origines. Ah sympa les suisses ! Vous avez appris le grec ? Encore une fois ma prononciation me permet d’accéder au stade de connaisseur d’une langue ; en réalité tout ce que je sais faire c’est commander poliment un verre. Faut que vous reveniez ! Y a un concert de buzuki mercredi soir, des bons musiciens. On sera là, promis.

On se retrouve au matin, allongés sur des chaises longues, au bord de l’eau qui s’allume du soleil réveillé, six heures, la musique tourne toujours dans notre dos, on tchatche, on fini nos Alpha. La sève sucrée de la Skunk dessine des vibrations agréables dans la crique prochaine. Tu vois le bateau au loin ? T’as trop fumé ! Que dalle, dans cinq minutes il décharge des voitures. Mais non ! C’est un putain de bateau de pêcheur.

Miracles de la perspective. À trois-cents mètres on ne distingue pas un ferry d’une barque ; une année plus tard je me souviens encore de la magie du moment.

Karian nous invite dans l’antre de king cafard. Petite chambre louée par l’habitant, un lit, une salle de bains, une cuisine, c’est cosy, les moustiques choisissent bien leur lieu de résidence. J’invente l’arme de destruction massive : un linge, queue de rat, les moustiques subissent ; ça fait des taches rouges sur les murs blancs. On s’endort.

Le proprio bizarre nous réveille. Il ouvre simplement la porte. Karian a dit qu’il était seul. Un pacs traîne sur le sol. C’est pas grave. Semi sourire aux lèvres :

Money.
Ok, ok.

Un billet de vingt euros résout l’affaire. Business is business.

On loue des scooters aujourd’hui ?
Attends… attends… à oui, je dors encore.
Feignasse.

Je prends le scooter, pas de permis, excès de confiance, y a pas de police. Jusqu’au monastère, j’apprends à goûter les plaisirs de la conduite, à prix salé, que j’ignore encore. Les routes sont pleines de gravier, fallait s’y attendre.

Le monastère est fiché dans la colline, construit à bras d’hommes, ouvre sur une scène de l’Odyssee. Je vois Ulysse dans son bateau ; son périple fait écho au mien. Vincent déboule, déguisé comme un pakistanais : pas le droit aux shorts dans le monastère. Tout en haut, dans une pièce minuscule, autour d’une table, avec d’autres francophones, entouré des portraits des différents moines, les officiants nous servent des verres de raki, et des bonbons visqueux un peu bizarres. Conjectures : c’est quoi ce rituel ? Rien de plus qu’un verre, une courte attente, et les touristes suivants débarquent. Étrange.

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L’excès de confiance me force à reprendre le volant du scooter. Un virage, deux virages, la facilité me dépasse. J’entame une courbe trop vite, un scooter arrive en face ; je confonds frein avant/frein arrière, l’avant du scooter fuit, je goûte le béton. Les deux autres sont déjà devant. Le scooter d’en face s’est arrêté. Un couple s’approche de moi, moitié excédé par ma bêtise, moitié pris de pitié.

J’ai réussi à me lever, je boîte, mes coudes dégoulinent de sang, mon genou pareil. Je marche. Pas de fractures graves, genou, jambes, bras, tout semble aller. Mais j’ai mangé la route. Je vacille. J’ai l’impression d’être proche du K.O. De l’eau. Le bord de route, de l’herbe, je m’asseois. Le voile noir s’approche ; garder connaissance, garder connaissance. Les substances auto-sécrétées me shootent. De l’eau. Il fait chaud. Ça tourne. On est sur une putain d’île perdue, y a pas d’hôpitaux. Ne pas se faire rapatrier. Ne pas se faire rapatrier. Je me relève, ça va, nuage passé. Je boîte toujours ; mon pied a pris le scooter. J’essaie de bouger les orteils, légère souffrance calmée par l’endorphine. Plus tard, ça va faire mal.

Un couple attentionné me ramène en voiture. Jusqu’à la médecin du coin. Très sympathique. J’apprends plus tard que c’est la soeur de Georgia, je la recroiserai deux jours plus tard, béquilles en main, buvant de l’ouzo devant un concert de musique traditionnelle ; c’est pas contre-indiqué, mais après cinq je peux quand même danser sur mon pied pété. Elle dira rien. Sur le moment elle désinfecte les plaies, ne comprend pas pourquoi je ris. Ça me fait marrer. C’est toujours mieux.

Je rigole moins dans la chambre, quarante degrés, invasion de moustiques, pied détruit, plaies suintantes, les deux potes en train de déguster des bières, plus que deux algifor, impossible de dormir.

La suite du séjour sur l’île est un long remerciement à Karian, à Vincent surtout, ayant dû me supporter plus longtemps. Il est patient. Très patient. Trente-cinq minutes pour rejoindre la chambre depuis la plage, pourtant séparés de deux-cent mètres. La suite est une longue méditation, jusqu’à ce que je retrouve la possibilité de danser ; avec les béquilles, bien sûr. Une sorcière m’en voulait, je pense à Cassiopée, je pense à Circé, Vincent pense que je suis fou. Je trace des hexagrammes sur les pages de mon livre. Ok, je suis peut-être fou.

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aux Paladins de l’Action

faust

Activités créatrices
Créativité activiste
Opérations sous couverture
Subreptices et secrètes
Manifestations souterraines
Echos, remous, murmures
Répercutions discrètes
D’un comité obscur

Qu’est-ce donc qui nous unit,
Qu’est-ce qui nous lie
à l’unanimité?

Nous avons simplement
fait le choix
d’une réaction libre
à ce que nous inspire
notre faculté optimale
à s’émerveiller.

Nos soifs de découverte
nous ont entraîné
au constat d’une récurrence
profondément révélatrice
des mystères
et des mythes anciens:
Nous avons voulu les redresser
pour recevoir en pleine face
la brise
des vents du changement
soufflant
de sa constance infaillible.

Nous nous sommes animés
à transmettre
le témoin de ce même éveil
qui descend
de la nuit des générations
et qui prend racine
dans le ventre de la terre
pénombre vestibulaire
à l’origine
de ce qui s’appelle monde

Nous voulons célébrer
la chance pour chacun
de s’épanouir
par la découverte
du langage qui lui est propre
en trouvant sa place
parmi l’abondance
des voix qui s’élancent.

CLIQUE SUR LA CLEF
POUR ÊTRE ÉCLAIRÉ

Action, creation,
Creative activism
Undercover operations
Surreptitious and secret
Underground excitements
Echoes, stirs, murmurs
Silent repercussions
Of an obscure comity

What is it that unites us
What is it that links us
unanimously?

We have simply chosen
a free response
to what
our high ability
to marvel
inspires.

Our strive for discovery
has lead us to realize
a profoundly significative
recurrence
of ancient myths
and mysteries
These we have sought
to summon anew
so to be struck
by the winds of change
blowing
with infallible consistency

We have risen to convey
the signal
of this one awareness
which has been passed on
since the dawn of generations
keeping roots in earth’s womb
at the base
of what is called world
in the early darkness
ere daybreak

We wish to celebrate
the chance for each one
To be fulfilled
through discovering
His or her own true language
While finding a special place
amongst the rising uproar
of voices.

CLIC ON THE KEY
FOR ENLIGHTENMENT

key

extraits de manifeste

…jusqu’au seul enjouement d’une figure éminente en simplicité, qui exprime sa joie contre toute attente, en dépit d’une donne pourtant déplorable…
[…]
…suggérer par tous les moyens la plausibilité de l’idée d’une existence sensée pouvoir être appréciée pour son incommensurable qualité…
[…]
…avant tout par le simple fait d’être, d’exister quotidiennement en travaillant à diffuser quelque chose de positif qui témoigne de son inspirant goût de vivre…

DEFENSE CONTRE LES LARVES

Si on reprend l’exposé là où nous nous étions arrêtés, il nous reste à définir des moyens de défense face aux attaques des larves. Pour comprendre les moyens de défense, il faut répéter une nouvelle fois les modes d’attaque des larves. Ils sont, en résumé, au nombre de deux.

1- les larves utilisent le manque de vigilance de la personne pour s’attaquer à lui. C’est à dire qu’elles attendent qu’un individu s’oublie soi-même, pour prendre possession de son corps astral. Cet oubli peut venir de différentes manières : soit suite à un choc émotionnel, qui déstabilise l’individu, et le laisse en proie aux sentiments de mélancolie, dépression, tristesse, qui sont des états de grande réceptivité face aux « squatters » de l’astral que sont les larves. Soit suite à l’utilisation de certaines substances qui agissent sur la vitalité de l’individu ; en annihilant sa force de volonté, elles annihilent aussi sa capacité à fuir une situation, un contexte, un groupe de personne, ou un autre individu, qui pourraient lui être néfastes.

2- les larves profitent qu’un individu de nature imaginative se laisse porter trop loin dans ses explorations des mondes inconscients, jusqu’au point où il ne maîtrise plus les images qui sont projetées dans sa tête. A ce moment, la peur s’empare de lui. La peur étant l’une des déperditions les plus fortes d’énergie qu’un individu puisse connaître, les larves en profitent pour se greffer dans son âme.

Considérons, maintenant, les moyens de défense contre ces larves. Une première indication, qui nous parait même triviale à ce niveau d’études, est que l’usage de substances hallucinogène est dangereux pour la santé mentale de celui qui souhaite s’adonner aux oeuvres de la connaissance du troisième oeil. Les substances toxiques sont des catalyseurs d’émotions et des accélérateurs d’états. Le cannabis, par exemple, excite très fortement la faculté d’imagination de l’individu qui en consomme. On peut considérer cette substance comme une porte d’entrée aux discours de l’inconscient. Ce constat n’est pas loin de celui que Timothy Leary, ou encore Aldous Huxley, posaient en leur temps sur le LSD. Plus en arrière dans l’histoire, on trouve aussi des poètes, comme ceux de la fin du dix-neuvième siècle français, qui considéraient l’opium, le haschich, l’héroine et d’autres drogues, comme des catalyseurs pour la créativité. Mais c’est une autre histoire. Ce qui nous intéresse ici est le contre-coup négatif qui naît de cette ouverture des portes de l’inconscient (voir : The doors of perception, par exemple, ou Confessions of an english opium-eater). Lorsque ces portes sont ouvertes, elles le sont dans les deux sens. C’est à dire que le corps astral de l’individu peut se mouvoir plus facilement dans le monde des reflets, des images, en somme le monde astral ; mais en même temps ces images, ces reflets, peuvent atteindre plus facilement l’esprit de l’individu qui médite, le laissant en proie à ce qui peut lui apparaître comme des fantômes, des cauchemars, ou des esprits néfastes.

Les substances, donc, sont à utiliser de façon extrêmement prudente, pour les personnes qui possèdent des capacités à s’élever jusqu’au monde des images. Une utilisation non raisonnée, inconsciente, peut projeter l’individu dans un monde de fantômes qui l’apeureront au point de le faire sombrer dans l’obsession, parfois, voir dans la folie.

Venons-en maintenant à des considérations plus ésotériques, donc plus complexes. Un autre moyen de défense contre les larves est l’exercice de la volonté, combiné à une juste connaissance des axiomes de la magie. Celui qui connaît l’axiome suivant est déjà bien avancé pour lutter contre l’influence des larves ; le voici : toute image rencontrée dans l’astral est précisément une image, c’est à dire qu’elle est inoffensive tant que la volonté de l’individu ne lui a pas conféré une existence réelle. Les reflets n’existent qu’à travers le filtre de notre volonté. Tant qu’elle ne veut pas leur conférer d’existence, en d’autres termes, tant qu’elle n’y croit pas, ces images ne sont pas réelles. Mais attention : il n’y a rien de plus réel qu’une hallucination à laquelle une personne croit : elle devient alors concrète, dangereuse.

Pour ce qui est de l’exercice de la volonté, nous touchons là un point central de l’ésotérisme. Le serpent de la Genèse, Nahash en hébreu, est une force de tentation souple dans son essence, et vicieuse au sens où elle peut être utilisée à des fins différentes. Cette tentation n’est qu’une force, neutre en son essence, qui ne tire ni vers le bien, ni vers le mal en elle-même. C’est l’utilisateur de cette force, appelée aussi le fluide astral, ou le serpent cosmique, qui lui confère une orientation vers le bien ou vers le mal, selon qu’il veut l’utiliser pour lui, de façon égoïste, pour son propre pouvoir, ou dans le but de ramener la lumière dans l’esprit des autres (pour une œuvre positive, donc). C’est la bonne ou la mauvaise conscience de l’individu qui définit principalement si les images qu’il verra se projeter dans son subconscient seront apaisantes, ou aptes à le faire tomber dans la folie. Toute volonté ferme, sûre de ses objectifs, et de la justice de son entreprise, ne tremblera pas devant le cortège de fantômes qui se manifestera lors de ses échappées méditatives dans le monde des larves et des formes.

La meilleure défense contre les larves est la rigueur de la volonté. Celui qui connaît sa volonté ne sera jamais possédé par ces individus de l’astral qui se nourrissent de la peur, de la stagnation, de la volatilité de l’émotion humaine, pour planter leurs griffes dans des cerveaux affaiblis.

À toute époque la propagande s’est implantée dans les failles causées dans l’âme de l’homme par sa peur, jouant avec des images effroyables, qui réveillaient des sentiments profonds de terreur et de haine. Les larves agissent comme une propagande invisible, qui saisissent l’esprit de celui qui a peur des reflets et des ombres qu’il rencontre sur le chemin de ses réflexions solitaires, lorsque sa volonté est faible, ou qu’elle reconnaît son propre fond de perversion. N’est pervers que celui qui ne croit pas lui-même à la bonté de son action, n’est livré aux larves que celui qui ne veut pas agir dans un but précis, mais se laisse agir par des forces occultes.

À mes chers agents,
AOR

LARVES PT.2

Un homme est assis dans un canapé, l’écran s’allume. De cet écran s’échappent des idées, qu’il ne connait pas encore, qui ne sont pas les siennes. Il soulève une canette qui traîne sur la table, dans un geste mille fois répété. La journée a été dure ; boulot de merde, collègues de merde. Il est fatigué. Encore une fois il a dû faire semblant, jouer la comédie du devoir, feinter l’entrain quotidien, feinter l’intérêt pour la conversation, dire à ses collègues à quel point il était en forme, alors qu’il voudrait crever.

Sur sa télévision défilent des images colorées, des propos amenés avec des intonations théâtrales, par des présentateurs cokés. Il baisse la garde, il en a marre ; ne pas réfléchir, ne surtout pas réfléchir : laisser cette télévision le bercer de rêves qui ne sont pas les siens. La nuit ressemble trop à un somnifère, elle ressemble aux antidépresseurs que son médecin lui a prescris quelques jours auparavant. Cela fait longtemps qu’il ne rêve plus. Le rêve est trop dangereux. C’est toujours la même histoire : on s’endort, fatigué d’une longue journée, et l’on se réveille avec des images d’autres vies, d’autres endroits, bien trop dangereux. Il ne faut plus rêver. Alors il laisse la télévision lui dire quels pourraient être ses rêves, s’il rêvait encore.

Il est assis dans son canapé, et les images tournent, colorées, les propos s’enchaînent dans un rythme régulier : une petite mélopée, une mélodie que l’on chante aux enfants pour les endormir. La bière coule lentement dans sa bouche ; sa sève apaise les tourments du quotidien : pourquoi ce boulot, pourquoi cette femme, pourquoi cette ville. Il ne faut plus y penser, la bière fonctionne, lentement, avec les anxiolytiques, pour calmer cet esprit qui tente de se réveiller. Mais il fait mal lorsqu’il se révolte, et lui ne souhaite plus souffrir. Alors la bière coule lentement.

C’est maintenant le tour d’un jeune homme de commencer son one-man show. Le public rit, payé grassement pour glousser aux moindres blagues prononcées, alors il rit lui aussi. Il rit parce qu’il a besoin de rire, parce que les journées sont tout sauf drôles. Les collègues et leurs blagues de merde : un humour à la portée de tous, sans reliefs, sans aspérités, un humour lissé par l’ennui. Mais l’humoriste continue de s’agiter, d’imiter les mimiques des supporters de foot, des alcooliques en soirée, et tout le monde rit : alors il faut rire, c’est contagieux. Au départ il se demande s’il va réussir à rire, mais la bière coule, et il ne faut plus penser ; le public rit, alors il rit. C’est dangereux de se démarquer : pourquoi ça ne me fait pas rire, se demande-t-il anxieux, je suis un vieux con aigri, c’est ça ? Alors il rit. Il rit pour ne pas être à l’écart.

Et tout tourne sur l’écran LCD, les clips, les humoristes, les plateaux télé, et les documentaires indignés. Qu’est-ce que j’en ai à foutre, finalement, qu’il y ait des dealers en ville, que les enfants s’éduquent au porno, que des types manquent d’eau en Afrique ? Mais il faut faire attention, ces choses là sont révoltantes, alors il faut s’indigner aussi. Et il s’indigne, petit à petit, il s’indigne contre la société, mais dans le sens que veut la société. Ainsi il s’accroche, et le lendemain, lorsque ses collègues lui demanderont, à côté de la machine Nespresso, ce qu’il regardait la veille, il pourra prendre un air confiant, en disant que c’est terrible que les jeunes s’éduquent au porno, que c’était pas pareil avant, et un grand « oui » général le soulagera, il sera compris, aimé de ses pairs.

Ce qu’il ne voit pas ce sont ces individus d’une autre forme ontologique, moins grossiers qu’une couleur sur un écran, plus fins que des commentaires de journalistes, mais qui sont présents, qui circulent à travers les mots, à travers les discours, pour venir se greffer dans sa tête, pendant que les anxiolytiques fonctionnent, pendant que la bière l’endort, et qu’il ne veut plus réfléchir ; pendant que le filtre de sa perception consciente est réduit par sa léthargie du moment. Ces pensées sont des larves, qui viennent se greffer sur lui, qui orientent son jugement, sa façon de vivre, qui l’empêchent de se remettre en question pour s’activer, pour sortir de sa léthargie, de son coma quotidien. Ses pensées sont obstruées par ces larves, il ne se connait plus lui-même, il est loin de comprendre pourquoi, chaque matin, lorsqu’il se lève, il a oublié le moindre de ses rêves, pourquoi il ne sait plus qui il est, où il va, pourquoi. Pourquoi, pourquoi se lever chaque matin à la même heure, pour le même travail horriblement chiant. Plus rien n’est conscient chez lui, trop de larves ont pris possession de sa pensée, l’empêchent d’émettre un jugement qui ne soit pas celui d’une société, éduquée à la télévision, qui parle à travers lui.

Ce sont les mêmes larves qui traversent les pages du 20 minutes, les mêmes larves qui naissent de la proximité trop grande avec des journaux gratuits, avec une publicité constante, avec des conversations automatiques, proférées autours d’une machine à café.

Un jeune homme ouvre un journal dans un train, et à travers les pages s’échappent des entités floues, trop fines pour être aperçues par l’oeil normal, qui viennent se greffer sur sa pensée, qui lui disent qui croire et à quoi réfléchir : surtout pas à soi-même, surtout pas à ses propres rêves. Il est bien trop dangereux de s’exposer aux abysses de l’introspection. Les larves veulent exister à travers des actes, prendre possession d’un être, l’empêcher de se retourner sur lui-même pour les expulser d’un coup de pied révolté contre sa propre léthargie.