Fulgurites d’Action Culturelle

Un montage de quelques extraits de l’oeuvre importantissime du très regretté Francis Jeanson (1922 – 2009), meilleur parmi tous les agents: L’action culturelle dans la Cité, première partie. Que son corps repose en paix, mais que son esprit continue de super-veiller, nous inspirant de toute son intensité.

  « Ils ont surtout besoin de s’entendre dire qu’un certain nombre d’hommes et de femmes se posent, ça et là, des problèmes très semblables aux leurs. (…): c’est de leurs ressources d’invention dans des contextes différents, et leur volonté de mise en commun de leurs expériences respectives que pourra surgir, tôt ou tard, une véritable politique d’action culturelle. »

  « … pour autant que chacun d’eux y reconnaisse son exigence propre . Sans aucune garantie de succès, bien entendu, et pour la plupart d’entre eux, en dehors de toute «sécurité de l’emploi». »

  « Aucune science ne saurait nous dispenser de faire, pour notre compte, le pari même sur lequel toute science repose. »

  « Il s’agit de passer de la défensive à l’offensive pour redonner leurs chances aux pouvoirs humains contre l’inertie d’un système castrateur: de sorte qu’il faut bien qu’on en vienne à parier. Et non plus, seulement, sur une certaine masse d’individus prétendument concernés mais avec des personnes de plus en plus conscientes, de plus en plus responsables, de plus en plus en mesure de concevoir ensemble la finalité d’une lutte et les moyens d’action compatibles avec cette finalité. »

  « Bon gré mal gré, nous sommes tous tributaires d’un «système» dont on peut, avec la même force, souligner le caractère conflictuel et déplorer la profonde stabilité. Quelles que soient les conceptions théoriques dont elles se réclament, toutes nos entreprises achoppent sur ce point: une «fin» n’est qu’un leurre, et la plus noble des «causes» retombe au niveau d’un pur et simple effet, aussi longtemps qu’on ne se donne pas le moyen décisif de se battre pour elle, en favorisant avant tout la prise de conscience et le pouvoir d’initiative des prétendus intéressés. »

  « Recevoir n’est pas prendre conscience.
  Toute prise de conscience suppose une opération, une prise en charge, un travail poursuivi sur soi-même en rapport avec d’autres consciences. Et, de ce point de vue, nous sommes encore assez loin du compte.
  Théoriquement, nous en convenons tous depuis assez longtemps, il s’agit d’articuler l’une sur l’autre, la théorie et la pratique, l’exigence de sens et l’action transformatrice. Pratiquement, il s’agit de rendre possible, au niveau des hommes, eux-mêmes, le déclenchement de cette dialectique. D’où il faut conclure ou bien que la «fin» doit être conçue en termes plus concrets,ou bien que le centre de gravité du problème se situe désormais au niveau des «moyens»: ce qui m’a tout l’air de revenir au même. »

  « Cette situation, nous en sommes tous responsables – dans l’exacte mesure, pour chacun d’entre nous, de ce qu’il y pourrait changer s’il entreprenait de le faire. »

  « Car nous pensons beaucoup, c’est vrai; et nous arrêtons guère de nous informer, de nous tenir «au courant», afin de pouvoir, avec encore plus de pertinence, nous confiner dans notre orthodoxie, ou très libéralement la contredire au gré de nos humeurs… Dans les deux cas, nous pensons tout seuls: tout seuls, c’est à dire pour rien. Et nous avons poussé si loin cette attitude que nous parvenons même à penser théoriquement la nécessité d’allier la théorie à la pratique – et, pratiquement, à nous en contenter. Si tout va bien, nous ne tarderons plus à rejoindre l’aristocratique position de ces princes solitaires qui ont enfin rencontré la vraie question, le problème essentiel: «être ou ne pas être». Mais que s’agit-il d’être: la Vérité? la Justice? la Révolution?
  Pour nous du moins, tous plus bâtards et faux princes les uns que les autres, l’«être» ne se donne jamais qu’en se refusant, comme la ligne d’horizon de notre propre démarche. »

  « Virtuellement, tous les hommes sont désormais «dans le coup»; en fait, seule un infime minorité d’entre eux – à quelque niveau que ce soit – est en mesure de contribuer aux prises de décision qui définissent le présent et engagent l’avenir des collectivités humaines. A une situation aussi radicalement déséquilibrée, aucune réponse utile ne saurait être fournie par la simple conception de structures nouvelles, quels que soient les avantages qu’on leur attribue par rapport aux structures existantes. Car il ne suffit pas de «montrer» à telle ou telle quantité de «partisans» les théoriques bienfaits de telle ou telle conception: il faut en outre qu’un nombre croissant d’hommes et de femmes soient mis en mesure de prendre parti pour des structures qu’ils auront eux-mêmes conçues. »

  « Telle est à mes yeux l’unique fin d’une «action culturelle»: fournir aux hommes le maximum de moyens d’inventer ensemble leurs propres fins.
  Il s’agit en somme de réveiller au coeur de nos cités, la fonction civilisatrice: celle qui postule, dans le plus simple habitant de quelque village ou quartier que ce soit, un citoyen à part entière – une exigence de sens capable de contribuer personnellement à la gestion de la collectivité et à la création de ses valeurs. »

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